Index de l'article
La différenciation du sort de la mère de celui de sa fille
La mère a-t-elle des raisons de craindre?
Même sans avoir à prendre en compte ces cas exceptionnels ou les cas de risque de nouvelle mutilation pour la mère, la jurisprudence du Conseil du contentieux a longtemps permis d'éviter d'avoir à dissocier l'examen de la demande faite au nom de la fille et celui de la demande des parents, grâce à l'utilisation pour ces derniers du critère des opinions politiques.
Mais ce critère ne pouvait être appliqué que pour autant qu'il fût admis que l'opposition aux MGF était perçue dans le pays d'origine comme une forme de déviance, de dissidence culturelle, susceptible d'attirer de sévères mesures de rétorsion à celui qui s'en rendait coupable.
Or, en 2014, la jurisprudence a connu une évolution marquante à cet égard. Des rapports récents du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides sur la Guinée sont, en effet, venus mettre en doute la réalité ou plutôt l'actualité des mesures de rétorsion dans ce pays à l'égard des parents réfractaires à l'excision: l'excision aurait cessé d'y être un tabou.
Il ne serait plus tenu pour intolérable dans la société guinéenne que certains parents refusent d'y soumettre leurs filles. Le Commissaire général en avait dans un premier temps déduit que puisqu'il devenait possible de soustraire ses enfants à l'excision sans courir de risque d'opprobre, le risque d'être excisée de force avait disparu.
Le Conseil du contentieux des étrangers ne l'a pas suivi sur ce point. Il continue de considérer, notamment, que le taux de prévalence est tel qu'il suffit à démontrer la persistance d'un risque objectif très élevé qu'une fille y soit soumise, avec ou sans le consentement de ses parents.
En revanche, le CCE a admis que les informations communiquées par le Commissaire général étaient bien de nature à démontrer l'absence de risque généralisé de persécution à l'encontre de parents s'opposant à l'excision. Certains arrêts ont donc dissocié le statut de la mère de celui de l'enfant, l'enfant étant reconnu et la mère n'obtenant pas de protection.
L'excision de l'enfant est-il une persécution de la mère?
Le Conseil d'Etat a été saisi d'un recours contre un de ces arrêts du CCE. Et il a cassé l'arrêt au motif que celui-ci ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé de la crainte de la mère en ce qu'elle "invoquait explicitement, à titre de risque de persécution personnel, le risque d’excision auquel était exposée sa petite fille en cas de retour au pays".
En d'autres termes, le Conseil d'Etat demandait au CCE d'apprécier si l'excision de l'enfant peut être considérée comme étant aussi une persécution de la mère.
Dans les cas où le problème se pose, il reconnaît la qualité de réfugié à l'enfant et, pour le surplus, il annule la décision du Commissaire général en lui renvoyant le dossier pour qu'il examine séparément la demande de la mère.
Et il semble que le Commissaire général reconnaisse dans ce cas à la mère la qualité de réfugiée en faisant, de facto, usage d'une acception large du principe du regroupement familial. Pourtant, dans son arrêt du 25 juin 2009 le CCE avait, en réalité, déjà abordé la question de la persécution indirecte des parents du fait de la mutilation de leur enfant. Citant les principes directeurs du HCR, il donnait, à l'époque, comme exemple de persécution des parents le fait d'être obligés d'être les témoins de la souffrance infligée à leur enfant. Mais si l'on admet que cette souffrance infligée à l'enfant est aussi une persécution des parents, il reste à en définir le motif, car ce n'est certes pas du fait des opinions des parents que l'enfant est excisée…